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Les meilleures d’ici rêvent d’une version féminine

jeudi, 25 avril 2024
Simone Boilard 15 Avril 2024
Photo Uno-X Mobility/Anouk Flesch Simone Boilard

Peu nombreuses mais bien visibles dans les plus grandes courses européennes, les meilleures cyclistes québécoises rêvent d’enfin pouvoir pédaler chez elles dans des épreuves de niveau WorldTour, au même titre que leurs collègues masculins, qui participent aux Grands Prix cyclistes de Québec et de Montréal depuis 2010.

Contrairement à la majorité des classiques de même catégorie en Europe, les courses canadiennes n’ont pas de version féminine, si bien que les Olivia Baril, Simone Boilard et autres Clara Émond n’ont jamais l’occasion de courir à la maison.

Ce serait incroyable d’avoir cette chance. J’adorerais ça et ce serait toute une motivation pour les jeunes cyclistes.

Simone Boilard, membre de l’équipe norvégienne Uno-X Mobility

« Ce serait magique », renchérit Magdeleine Vallières Mill, représentante de la nouvelle formation américaine EF Education-Cannondale. Pour sa coéquipière Clara Émond, la présentation de telles épreuves au Québec ne serait qu’une évolution logique : « Il y en a pour les hommes, je ne vois pas pourquoi il n’y en aurait pas aussi pour les femmes. »

Olivia Baril, meilleure cycliste canadienne depuis le début de la saison, tire le même constat. « Ce serait le temps », affirme l’une des principales meneuses de la formation espagnole Movistar.

Dimanche, les quatre Québécoises ont pris part à Liège-Bastogne-Liège, l’une des plus anciennes courses masculines – ce qui lui vaut le surnom de « Doyenne » –, qui a son pendant féminin depuis 2017. Elles ont ainsi conclu la campagne des classiques ardennaises après la Flèche Brabançonne, l’Amstel Gold Race et la Flèche Wallonne, en Belgique et aux Pays-Bas, soit exactement la même séquence que leurs collègues masculins.

Baril, Émond et Vallières Mill se tournent maintenant vers la Vuelta, en Espagne, premier des trois grands tours qui sera suivi par le Giro, en Italie, et le Tour de France. Le cyclisme international se féminise, tant du côté des courses que de celui des équipes. La tendance trouve peu d’écho au Canada et aux États-Unis.

« La motivation va être là » en 2025

L’automne dernier, le maire de Québec, Bruno Marchand, avait profité de la présence de Marion Rousse, directrice du Tour de France Femmes, au Grand Prix cycliste de Québec pour livrer un plaidoyer senti sur le cyclisme au féminin lors de la conférence de presse d’ouverture.

« Merci de faire ce travail vers l’égalité, vers la parité, vers cette capacité de dire à nos filles qu’il y a de la place pour elles aussi », avait lancé l’édile à celle qui analysait les courses pour TVA Sports.

Les principales concernées attendent toujours le signal de départ. « Je n’ai pas envie d’avoir 35 ans, de voir les courses aller et de me dire : j’aurais tellement aimé ça », souligne Boilard, 26e à Liège-Bastogne-Liège et 14e de l’Amstel. « Ce serait incroyable de pouvoir les faire pendant ma carrière. »

La tenue des Championnats du monde de cyclisme sur route à Montréal, en 2026, représente une occasion idéale pour lancer des éditions féminines des Grands Prix cyclistes (GPCQM) au Québec, plaide l’athlète de 23 ans : « Les équipes féminines vont vouloir venir tester les parcours l’année prochaine. La motivation va être là. »

Soucieuse de ne pas se « mettre en vedette », Boilard a fédéré ses collègues canadiennes derrière sa démarche. Comme elle, elles ont toutes assisté à plusieurs éditions des classiques canadiennes à titre de spectatrices. Magdeleine Vallières Mill raconte s’être dérobée de l’attention de son père, qui travaillait dans un kiosque de vente, pour se mêler à la foule sur le mont Royal.

« J’avais trouvé ça tellement cool ! se souvient celle qui devait avoir 10 ou 11 ans à l’époque. Ça me faisait un peu rêver, mais dans ma tête, ce n’était pas possible parce que c’était pour les hommes. S’il y avait eu une course pour les femmes, ça m’aurait tellement motivée. Ça m’aurait fait dire : ah, c’est vrai que c’est un métier possible et ça vaut la peine de continuer à pousser [dans ce sport]. »

La renaissance d’un Tour de France féminin aura cet effet galvanisant auprès d’une nouvelle génération de cyclistes, estime la Sherbrookoise de 22 ans, qui a participé aux deux premières présentations, en 2022 et 2023.

Meilleure Canadienne au dernier Tour, avec une 23e place au classement général, Clara Émond se fait « souvent demander » quand Québec et Montréal accueilleront des épreuves féminines du WorldTour. « Ce sont des courses vraiment appréciées du public et des coureurs », affirme l’ex-skieuse alpine de Saint-Ferréol-les-Neiges, qui s’est convertie au cyclisme sur le tard.

La grimpeuse de 27 ans se considère comme chanceuse d’avoir atteint le plus haut niveau aussi rapidement. L’avocate de formation signale l’apport inestimable de sa première équipe, Emotional.fr-Tornatech-GSC Blagnac VS31, sans laquelle elle ne se serait jamais fait connaître en Europe. Tenue à bout de bras par son directeur Gérard Penarroya, la structure canadienne a cessé ses activités l’an dernier après une quinzaine d’années d’existence.

« Une grosse course comme ça pourrait peut-être inciter de plus gros commanditaires à financer des équipes féminines et augmenter le nombre de Canadiennes qui évoluent à l’international, fait valoir Clara Émond. Parce qu’on n’est vraiment pas beaucoup dans le peloton. »

Une volonté politique pour une version féminine ?

Une version féminine des Grands Prix cyclistes de Québec et de Montréal est un souhait partagé par les organisateurs. « C’est plus qu’un projet, c’est un rêve », soutient Sébastien Arsenault, PDG des GPCQM. Il note que le mois de septembre est ouvert dans le calendrier du WorldTour féminin, autour des mêmes dates que les compétitions masculines.

Comme l’automne dernier, le promoteur répète dans la foulée qu’il ne veut « pas arriver avec une qualité d’organisation moindre » que pour les épreuves masculines. En d’autres termes, les coûts seraient équivalents et il ne voit pas d’économies d’échelle significatives. Les GPCQM, qui assument presque tous les frais de transport, d’hébergement et de repas, disposent d’un budget global de près de 7 millions de dollars, alimenté à la majorité par les trois ordres de gouvernement. Une ou des courses féminines devraient être présentées à des journées différentes en raison de la longueur de l’ensoleillement à cette période de l’année au Québec.

« Ces équipes ont-elles les moyens de venir ici à leurs frais et de payer toutes les dépenses d’hôtel, comme c’est le cas en Europe, où elles n’ont qu’une allocation ? Je ne crois pas, expose Arsenault. Ça prendrait donc une volonté politique solide pour qu’on puisse faire quelque chose de grandiose, qui inclut la télédiffusion. »

L’audience serait probablement moins importante que pour les hommes, ajoute-t-il en mettant « des gants blancs » : « Le retour sur investissement ne pourra être vu du même œil que pour le sport masculin. Il faut comprendre que c’est un investissement qu’on fait pour développer le sport chez les jeunes femmes et c’est là-dessus qu’il faut vraiment se concentrer. »

Selon l’organisateur, un engagement de trois ans des pouvoirs publics serait nécessaire. Il indique avoir eu « quelques discussions à bâtons rompus » sur le sujet avec le maire Bruno Marchand, qui aurait démontré une ouverture à accueillir les deux épreuves dans la région de Québec.

Il n’y a pas eu de réunion sérieuse ou officielle. Je dirais que c’est un désir commun qu’on caresse avec le maire. Tous les deux, on regarde nos Québécoises performer et on se dit : mon Dieu, ce serait donc intéressant. […] Bon, il faut consulter les autres pouvoirs publics pour voir si ça cadre avec leurs objectifs.

Sébastien Arsenault, PDG des GPCQM

Après le démarchage effectué pour financer l’organisation des Mondiaux sur route en 2026, Sébastien Arsenault n’est pas prêt « à reprendre le bâton du pèlerin » pour des compétitions WorldTour féminines. « Il faut que ce soit une volonté politique qui parte carrément d’en haut », insiste celui qui est aussi à la tête du marathon Beneva de Montréal.

Ne pas brûler les étapes

Montréal a déjà vécu une sorte d’âge d’or du vélo au féminin. De 1998 à 2009, une Coupe du monde attirait des milliers de spectateurs sur le mont Royal, même avant le début de la rivalité entre Lyne Bessette et Geneviève Jeanson. Karol-Ann Canuel a disputé les trois dernières éditions — de même que les Tours du Grand Montréal et de l’Île-du-Prince-Édouard, qui s’étaient ajoutés. Cette expérience lui a servi de tremplin à une longue carrière internationale qui s’est conclue en 2021 avec deux Jeux olympiques et 11 participations aux Championnats du monde.

Quand les organisateurs du Tour de Gatineau, où elle a aussi vécu de beaux moments, ont jeté l’éponge en 2022 après trois annulations en raison de la pandémie, elle a levé la main pour prendre la relève à titre de directrice générale.

« Je n’avais aucune expérience, mais pour moi, c’était trop important de le ramener pour justement donner cette occasion aux jeunes athlètes de pouvoir courir au niveau international, à la maison », témoigne Canuel, qui vient de diriger un projet avec des coureuses juniors pour Cyclisme Canada en Europe.

Disputé une première fois en septembre dernier, l’évènement est composé de deux courses distinctes de sanction 1.1 de l’UCI (deuxième catégorie) : le Chrono féminin de Gatineau et le Tour de Gatineau, en plus d’un critérium de niveau provincial. Une formation WorldTour a confirmé sa participation l’automne prochain.

Canuel rêve que la compétition obtienne une licence WorldTour d’ici trois à cinq ans, mais elle ne veut « pas brûler les étapes ».

« L’avantage d’avoir une 1.1, c’est qu’on a le droit jusqu’à sept équipes du WorldTour, des équipes continentales, mais aussi des clubs [non licenciés par l’Union cycliste internationale]. Ça a beaucoup de valeur pour celles qui commencent, qui veulent toucher au peloton international, sans nécessairement avoir la chance de venir en Europe. Ça ouvre ces possibilités. »

Karol-Ann Canuel appuie « à 100 % » l’idée de Grands Prix cyclistes féminins à Québec ou Montréal, d’autant que les formations auraient intérêt à prolonger leur séjour pour s’aligner à Gatineau. En même temps, une réplique exacte du calendrier masculin n’est pas indispensable à ses yeux. « On a cet évènement unique aux femmes qu’on peut aussi faire grandir. »

Olivia Baril estime également que l’existence de compétitions exclusivement féminines – comme le Trofeo Alfredo Binda, où elle a fini septième à la mi-mars en Italie – reste quelque chose de « cool ». Elle croit néanmoins qu’il est grand temps que les classiques québécoises s’enrichissent d’un volet pour les femmes.

Le cyclisme féminin évolue très rapidement. De plus en plus d’équipes ont une équipe d’hommes et une de femmes. Et de plus en plus de courses ont une version hommes et femmes. C’est le bon moment pour Québec et Montréal d’avoir aussi une édition pour les femmes.

Olivia Baril, de la formation espagnole Movista

En attendant, la cycliste de 26 ans « pense aux Championnats du monde à Montréal presque tous les jours »…

Rédaction La presse

Simon Drouin

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