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Les facteurs de la performance en vélo de montagne expliqués par Jude Dufour

jeudi, 12 novembre 2020
Photo De Jude Dufour

Jude Dufour, l'entraîneur de l'olympien Léandre Bouchard, a décortiqué les différents facteurs de la performance en compétition de vélo de montagne, dans une entrevue pilotée par Éric Lapointe, professeur de philosophie du Cégep Garneau à Québec et membre impliqué dans le vélo de montagne depuis 20 ans. Sous une formule questions-réponses, la FQSC vous partage le contenu de l'échange entre les deux hommes. Le partage des connaissances s'inscrit directement dans le perfectionnement de nos entraîneurs à l'échelle provinciale.

Quelles seraient les erreurs les plus fréquentes commises par les entraîneurs dans la planification de leurs programmes sportifs ?

D’abord, ne pas suffisamment considérer la différence entre l’âge chronologique et l’âge biologique. Autrement dit, on ne doit pas penser que deux jeunes qui ont le même âge chronologique ont un niveau de maturité physique semblable. Les enfants ne sont pas des adultes en miniatures. Il est essentiel de consulter les grandes lignes du DLTA (Développement à long terme de l’athlète) pour mieux comprendre les différentes phases du développement.

Ensuite, ne pas bien connaître ses athlètes. Il faut prendre le temps de s’informer des raisons pour lesquelles ils désirent s’inscrire dans ton programme de sport. Viennent-ils pour un besoin de réalisation ou d’affiliation ? Recherchent-ils des sensations ? Ont-ils un besoin d’affirmation? Ou encore un désir intrinsèque de performer ?

Une autre erreur consiste à négliger la philosophie du PNCE, selon laquelle on se doit d’assurer une expérience positive, de permettre aux athlètes de réaliser leur plein potentiel et d’utiliser le sport comme outil de développement de la personne.

J’ajouterais le fait d’accorder une trop grande importance aux axiomes des grands livres d’entraînement, au détriment de la réaction de l’athlète. Il faut respecter le principe de l’individualité.

Je dirais finalement : adopter trop rapidement des stratégies spécifiques de préparation, quand l’athlète se trouve encore au niveau où il apprend à s’entraîner. On veut parfois aller trop vite en utilisant des notions telles que l’affûtage, la surcompensation et des stratégies alimentaires, etc…

Comment t’y prends-tu pour évoluer en tant qu’entraîneur d’année en année ?

Je suis formateur dans le cadre du programme multisports PNCE à Sports-Québec et chez Cyclisme Canada depuis 1998. Mon expérience à titre d’enseignant en éducation physique, ma certification niveau 4 en Cyclisme du PNCE et ma formation continue ont fait de moi un entraîneur actualisé. Afin de maintenir mon niveau de connaissance, je participe annuellement à plusieurs formations offertes par l’INS (Institut National du Sport). Je consulte régulièrement les études du physiologiste Guy Thibault. J’aime bien, également, consulter les stratégies de l’entraîneur de l’équipe nationale, Dan Proulx.

Les concepts de surcharge et d’affûtage conviennent-ils à tous les athlètes d’endurance ? Ou y a-t-il des athlètes qui s’entraînent en appliquant d’autres concepts ?

Dans ma carrière d’entraîneur, j’ai connu certains succès avec, dans ma périodisation, la mise en place d’une surcharge de 8 à 10 jours, suivie d’une période d’affûtage de 10 à 14 jours avant l’épreuve.

On dit surcharge, mais pas épuisement. La ligne est mince entre la fatigue fonctionnelle et la fatigue chronique. La fatigue fonctionnelle est un état temporaire de fatigue physique et mentale à la suite d’un entraînement de charge maximale, en volume et en intensité. De l’autre côté, la fatigue chronique est une fatigue permanente. C’est-à-dire que même avec beaucoup de jours de repos, voire de semaines, l’athlète vivra une perte de performance et de motivation. Bien connaitre son athlète est la clé de l’application de ces concepts, et cela prend du temps.

Dans ma planification de programmes, j’aime bien utiliser la théorie des différents types de charge. Le docteur en biomécanique Frédéric Grappe, dans le volume « Cyclisme et optimisation de la performance », classifie les types de charge de la manière suivante : normale, importante, maximale, récupération et affûtage. J’établis à quoi peut correspondre, en charge d’entraînement, un microcycle normal. Est-ce 10 à 12 heures sur le vélo avec un maintien de la puissance aérobie maximale ? Est-ce 60 km en course à pied avec un maintien de la capacité aérobie ? À partir de cette donnée, j’arrive à mieux cibler quelle devrait être la durée d’un microcycle de surcharge, de récupération ou d’affûtage.

Comment fonctionne ta relation avec Léandre? Avez-vous une approche stricte, dans laquelle tu planifies des programmes que Léandre exécute, ou bien Léandre participe-t-il activement, avec toi, à la programmation de son entraînement?

Globalement notre relation fonctionne sur le principe de la confiance mutuelle. Cette relation est précieuse. Elle s’est forgée avec le temps.

Notre façon de communiquer a changé en 13 ans. Au début, mon attention était davantage portée sur l’attitude et les comportements de Léandre face aux entraînements et aux diverses situations de compétition. Mes priorités, dans cette étape de notre plan de développement à long terme, étaient d’essayer d’inculquer et d’enseigner de saines habitudes de vie.

Dans le stade actuel de Léandre, qui correspond à « s’entraîner à gagner », nous devons mettre davantage l’accent sur la personnalisation de l’entraînement. Cette personnalisation se développe à l’intérieur d’un plan annuel préétabli. Ce plan préétabli est modulé par différents mésocycles d’entraînements adaptés aux périodes de compétitions majeures.

Le plan annuel préétabli est intéressant pour avoir une vue d’ensemble du développement de l’athlète. Mais il est important que l’entraîneur ajuste régulièrement les activités d’entraînements en fonction du contexte de l’athlète. Plus on avance dans les stades de développement, plus les détails font la différence.

Cette année, avec le chambardement et les ajustements du calendrier de compétitions internationales, il a fallu constamment revoir nos objectifs, nos stratégies d’activités d’entraînement et nos choix de courses préparatoires.

Je peux dire qu’une partie de la rétroaction de Léandre se fait de manière virtuelle au moyen du logiciel « Training peak ».

Selon toi, qu’est-ce qui fait ta force comme entraîneur ?

Je dirais ma grande facilité à communiquer et mon sens du leadership. J’ai sans doute un talent pour responsabiliser les gens et les mobiliser pour l’action. D’ailleurs, ce que je communique en premier à l’athlète qui désire à progresser, c’est la différence entre les attitudes et les aptitudes. Pour développer des aptitudes, comme la force, la vitesse, la technique, on doit d’abord développer des attitudes, c’est-à-dire avoir une bonne hygiène de vie, physique et mentale.

Au niveau mental, j’essaie de faire comprendre aux athlètes que nous devons arriver à voir le verre à moitié rempli plutôt qu’à moitié vide. Ça signifie qu’on doit se concentrer sur ce qu’on peut faire avec ce qu’on a, au lieu d’être déprimé par ce qu’on n’a pas.

La recette du succès en 2020 sera-t-elle la même en 2025 ?

Encore faut-il connaitre les ingrédients essentiels du succès en 2020…

En toute modestie, je pense que pour avoir du succès en 2025, on doit apprendre à tenir compte du contexte évolutif et de l’individualité de l’athlète. Ces ingrédients en 2020 seront à mon avis toujours effectifs et nécessaires en 2025. L’amélioration de la performance sportive est un système complexe qui comprend, d’une part, tout ce qui englobe l’entraînement et, d’autres part, l’ensemble des conditions dans lesquelles l’athlète évolue. Ce système est un processus constant.

En 2020 comme en 2025, il sera toujours essentiel d’avoir un encadrement de qualité. Une bonne équipe spécialisée doit intervenir auprès de l’athlète.

Les qualités d’un grand coach resteront les mêmes en 2025. Celui-ci doit être positif, enthousiaste, solidaire, confiant, concentré, axé sur les objectifs, bien informé, observateur, respectueux et bon communicateur.

Crois-tu que l’entraînement soit davantage un art qu’une science ?

En lien avec la science, il est nécessaire pour l’entraîneur de maîtriser plusieurs méthodes et plusieurs concepts. Les modèles d’entraînement physique et mental doivent être supportés par la science. On se doit de se baser sur des études scientifiques afin de résoudre certains problèmes, comme celui de la détermination de la structure d’un programme en fonction du ratio entre l’entraînement et la compétition, ou encore celui de la priorisation du développement des qualités physiques en fonction de leur importance.

À propos de l’art dans la tâche de l’entraîneur, je pense qu’à partir de concepts d’entraînement bien établis par la science, c’est important d’appliquer ce que j’appelle de l’individualisation dans notre approche. Je veux, comme entraîneur bien informé, être en mesure de comparer la structure d’un programme avec le développement d’un athlète à long terme. J’essaie d’identifier les mesures spécifiques à adopter afin qu’un programme corresponde aux recommandations en matière de développement. C’est n'est pas parce qu’une méthode fonctionne avec un athlète qu’elle va fonctionner avec un autre. Cette individualisation et cette conceptualisation me permet de croire que coacher, c’est un art. C’est d’ailleurs ce qui rend la tâche stimulante et non répétitive.

Selon Platonov (1988), la mise en place du processus d’entraînement prend en compte des informations comme les aptitudes physiques, les qualités de récupération, la volonté, l’ambition, le niveau de force mentale, les effets induits par l’entraînement et les aspects temporels. Arriver à développer tous ces éléments d’une manière harmonieuse, c’est de l’art.

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